samedi 1 juin 2013

Première leçon d'humilité : abandon au 1er 400 km

3h30, le cadran sonne après 5 heures de sommeil. Je suis comme d'habitude excité à l'aube de ce brevet de 400 km organisé par le CVRM, point obligé et logique de ma progression vers mon projet fou de Paris-Brest-Paris 2015. En effet, dans mon agenda 2013 du mois de juin, j'ai inscrit 400 km le 1er, 600 km le 15, 400 km le 29 ! Je ne sais pas si le mental et surtout le physique tiendront le coup, mais faut bien se fixer des objectifs dans la vie. J'espère que mes kilomètres accumulés depuis le début de l'année me permettront de passer ces différents caps et qu'enfin je réussirai un 600 bornes, trophée suprême dans la formation du jeune jedï randonneur que je suis !

Mais avant tout il est temps de revenir au présent et de prendre les choses dans l'ordre. Je me prépare un bon petit déj avec café fort, tartines au Nutella, banane en rondelles arrosées de sucre, jus d'orange, yaourt, de quoi tenir les premières heures jusqu'au contrôle 1 situé à 105 km. Tout en avalant mon stock de glucides et de vitamines, j'analyse la météo sur le net, il est annoncé des vents raisonnables O et SO de 10 a 20 km/h mais surtout une chaleur caniculaire avec des orages en fin de journée. Hou lala, ça va chauffer sur la route, surtout qu'aux plus chaudes heures de la journée, nous devrions nous retrouver dans les côtes infernales du côté de Sutton ! Le maître mot va être boire, boire et encore boire, et surtout ne pas se faire déshydrater.

Je termine de préparer mon matose, le dilemme est de bien choisir quoi mettre dans ma sacoche MEC car celle-ci n'est pas très volumineuse, environ 7 litres. Pourtant il faut que j'emmène les indispensables, trousse de réparation avec 2 chambres à air, l'imperméable et les sur-chaussures pour la pluie, les lumières avant et arrière avec leur batterie de rechange ainsi que le baudrier pour la nuit, la crème solaire, la crème pour les fesses, de l'huile pour la chaîne, (ne pas se tromper lors de l'application !) et enfin toute la bouffe de secours nécessaire en cas de coup de pompe, gels et jujubes contenant de la potion magique, je veux dire électrolytes en tout genre ! En plus de ça, le gros problème de la journée est aussi de maintenir son GPS actif pendant tout le parcours, sachant que les Garmin sont out après 15 à 18 heures de fonctionnement. Alors chaque cyclo a ses solutions, pour ma part, j'ai pris ma plug pour tenter de le recharger dans des endroits civilisés lors de mes arrêts, on verra bien, au pire des cas, il me restera les cartes fournies par l'organisation.

4h30, il est temps de rejoindre le départ au stationnement de la voie maritime de St Lambert, dehors il fait déjà un bon 20 degrés quand je déroule Victoria. Je suis habillé en court et je n'ai pas pris de vêtement chaud car plus de place dans la sacoche et aussi suite à l'analyse météo ! Mes compagnons de route sont déjà arrivés, salutations et retrouvailles, papotage, distribution de cartes de route et Jean rappelle tout le monde à l'ordre pour la traditionnelle photo à 5 heures pétantes, nous aurons toute la journée pour terminer nos conversations ! Clic-clac Kodak.




C'est le moment d'allumer mon GPS jusque là préservé en énergie. Misère ! Celui-ci s'est réinitialisé et toutes mes options personnelles comprenant mes écrans fétiches sont à reprogrammer, bordel de merde, fuck la technologie ! Heureusement mon parcours de ce brevet de 400 est toujours là et me voilà en train de re paramétrer mon bidule en slalomant sur Victoria et pendant les premiers kilomètres, grrrr, ça m'énarve, mais y a pas mort d'homme !

Après ce stressant épisode, je me remets dans mon trip, j'ai 400 bornes à parcourir et cet effort à équilibrer sur la journée, voir la nuit. 12 cyclos pour la photo plus Jean le photographe, ça fait 13. Nous roulons en peloton de 11, il en reste 2 à l'arrière, ça marche fort les mathématiques à 5 heures du mat ! Jai retrouvé mes équipiers du 300, René de Rimouski et les 2 compères Yves et Marc qui ont aussi le PBP 2015 en perspective, de quoi se retrouver ensemble sur les brevets pour de nombreux kilomètres. Il y a aussi des français dans le peloton, Emmanuel avec son maillot Mc Gill et son accent du sud qui fait son premier 400, ainsi que Rémi Bout de Relique, en fait Bouderlique, excusez-moi, je nai pu men empêcher ! Oui Rémi, cest moi le randonneur qui tai dit le matin que tu avais pris ton vieux bazou, un vieux Surly de 50 kilos au moins ( !), ami de la Picardie, dont la mère est née à Amiens, ma ville natale de France, que le monde est petit ! Et bien sûr, je te niaise au boutte comme on dit icitte, espèce de jeune aisneux plus vigoureux que moi (il comprendra !) car tu me largueras quelques kilomètres plus loin ! Pour finir la liste des participants, il y a bien sûr les toujours présents Jean et Martin, Simon le triathlète qui est aussi de la partie, ainsi que Patrick sur son Marinoni qui prodigue des conseils de temps à autre, Luc sur son vélo de triathlon mais qui ne fait pas de triathlon, Sylvain dit Gringos, sûrement un mexicain venu du Saguenay, et le 13éme dont je ne sais pas le nom, crotte, yavait pourtant 12 gars sur la photo sans Jean, mystère et boule de gomme, Jean help me please !

Cest donc joyeusement excités que nos cyclos quittent la banlieue rive sud par Grande Allée re-bitumée, un véritable plaisir, et la moyenne commence à s’élever dangereusement, en tout cas pour moi. René décide ensuite de prendre un relais sur Grande Ligne à plus de 33 de moyenne et le peloton explose en 2 morceaux en arrivant sur Chambly. Il ne reste plus autour de moi que Yves et Marc avec qui nous avons décidé de nous tenir les coudes, ainsi que Luc et Patrick. Quelques kilomètres plus loin, nous retrouvons René qui nous attend, jai un peu trop forcé avouera-t-il aussitôt et il préfère rouler pépère avec nous, doucement mais sûrement, telle est notre devise. Nous continuons vers la municipalité de Mont St Grégoire ou je propose une pause pipi banane, histoire de couper en 2, nos 100 bornes jusquau premier contrôle. Ma suggestion est acceptée et le timing est bon car Marc a une crevaison lente et il décide de changer sa tripe. Photo pour la postérité et notre groupe de 6 repart gentiment.




Malgré notre allure pépère, nous avons une bonne moyenne sans trop forcer. 2 cyclos nous rejoignent de larrière, cest Simon et Martin qui étaient partis après nous, Simon, faudra régler ton cadran un peu plus tôt la prochaine fois, cest sympa Martin de lavoir attendu ! Avec eux, notre groupe de 8 continue sa progression, nous parcourons les quelques hectomètres de gravelle du brevet et atteignons le petit village de St Armand. À partir de là, finie la direction sud, bonjour la direction ouest, le vent dans le dos, et bonjour les côtelettes jusqu’à notre 1er checkpoint. Le groupe s’éparpille un peu dans les bosses, Luc semble souffrir à larrière, pas de pitié pour les gars pas en forme ! Nous gravissons Pigeon Hill et la dévalons jusquau 1er contrôle, Frelighsburg et son dépanneur Sergaz, km 105.

Il nest que 9h du matin et la chaleur commence à nous accabler fortement, ça promet pour le reste de la journée. Bien sûr, comme le maître mot du jour est boire, boire et encore boire, chacun y va de ses goûts préférés pour se déshydrater, pour ma part ce sera coke (trop tôt me diront certains) et crème glacée, ainsi quun bon sandwich pour remettre du gaz dans la machine. Pour dautres, ce sont de grosses bouteilles deau et des réserves de Gatorade. Jen ai aussi dans mon Camelbak de 2 litres et demi et je nai pas besoin de recharger pour cette fois, car jai aussi 2 bidons, un de Gatorade dune autre saveur et lautre rempli deau pour me désaltérer la bouche, car le Gars Tout Raide, cest un peu écoeurant par moment. À peine 20 minutes d’écoulées que Patrick sonne le rappel à lordre, bon, on nest pas ici pour rigoler, ni se la couler douce à Frelighsburg. Dommage car le village est accueillant et rempli de belles pitounes à bécyk, nous faisant fantasmer avec leur tenue moulante, mais calmons-nous car la testostérone nest pas toujours compatible avec leffort à pédale !





Cest donc sous le cagnard que nous reprenons notre chemin de croix ou plutôt de côte car des côtes, on va bouffer sur les 100 prochains kilomètres, en effet nous attaquons la partie la plus dure du brevet. Nous amorçons les hostilités par celle de ya de la joie (Joyhill in english), au début nous chantons la chanson de Trénet mais en haut, plus de souffle pour terminer le refrain et ya moins de joie ! Déjà, je sens que ça commence à chauffer sous mon casque et un petit mal de tête se fait sentir, faut faire gaffe à linsolation par cette canicule. Heureusement quelques kilos de descente nous refroidissent un peu les esprits et cest à ce moment là que nous perdons Luc, un peu lourd dans les côtes mais une vraie bombe dans les descentes ! À tel point quil loupera un virage et se retrouvera dans le fossé avec la roue avant endommagée, heureusement il sen sortira plutôt bien. Nous apprendrons cette nouvelle en lisant le compte rendu de Jean sur le site du CVRM et Luc rentrera en bus de Sutton à Montréal.

Après avoir bien descendu sur la 139, nous voilà au pied de la côte la plus coriace du parcours, la Scénic qui se monte en 2 temps. Pour moi ce sera en lanterne rouge que je ferai lascension, à mouliner sur mon 28 dents et me faisant ainsi larguer par tous les autres qui tirent plus grand. Marc nest pas loin devant et je pense quil mattend au sommet, je suis étonné quil soit derrière Yves. Nous dévalons ensemble la descente et tout en bas une belle frayeur nous attend. Il y a un arrêt à négocier et nous avons lintention de le griller car il y a rarement dauto à cet endroit proche de la frontière. Et comme de bien entendu, voilà une auto qui arrive au mauvais moment, alors je commence à freiner et Marc qui me suit à vive allure. Alors je lentends crier brake-pas brake-pas, et après traduction, je décide de ne plus freiner, évitant ainsi la catastrophe de justesse.

Fiou, que d’émotions, on boit un coup et on continue dans la vallée de la Missisquoi avec vent favorable, le pied. Le groupe de 7 (sans Luc) se reforme et nous atteignons Mansonville pour un arrêt dépanneur rafraîchissement bienvenu et cela sans consensus, nous avons trop chaud et trop soif ! Pause de 15 minutes à se désaltérer à lombre mais dans la chaleur qui doit toper à 35 degrés car le soleil est au zénith. Jy vais à nouveau avec une crème glacée et une bouteille de thé glacé, pas envie de coke. Le temps de récupérer un peu et le sergent Pat nous invite à nous remettre en selle pour continuer notre périple, bien mon adjudant, nous nous exécutons !

À la sortie du village, nouvelle côte et sa collection multiple sur une quarantaine de kilomètres, mes compagnons nont pas lair très motivés pour attaquer les grimpouilles alors cest Pat et moi qui donnons la charge. En fait, chacun monte tranquillement à son rythme et à ce moment là, je me sens bien et jappuie allègrement sur les pédales, bizarre me dis-je. Je continue de boire mais je commence à être dégoûter de mon Gatorade orange, jattaque le Gatorade bleu tout chaud et même sensation de dégoût, re-bizarre me dis-je ! Belle descente en forme datterrissage sur Knowlton Landing puis succession de côtes sérieuses qui continuent de nous laminer les cuisses et de nous assécher le gosier ! Nous passons à côté dune maison en party, je my serai bien arrêté pour prendre une bière mais non, je reste sur mon vélo à pédaler comme un forcené, quest-ce que je fais là à m’éclater la rate, me dis-je, certainement un moment d’égarement !

Nouvelle bonne descente et nous voilà sur la 243 du côté de Bolton Pass, les autres se sont arrêtés pour atteindre les retardataires que nous sommes, Yves, Marc et moi. Nous repartons à la file indienne sur cette route passagère et dans une bosse, Pat et Martin se font la belle, direction le 2éme contrôle. Simon attend les autres quil tire contre un vent devenu défavorable, jusquau Lac Brôme. Maintenant cest au tour de René de traîner les pattes en queue de peloton et ce nest pas peu dire car il a les pieds qui gonflent lorsque la chaleur se fait trop intense, ce qui est le cas. Dernier droit jusque Sutton, nous rencontrons les autres cyclos en sens inverse, Gringos, Jean, Rémi, Emmanuel, les chanceux, ils ont déjà contrôlé et ravitaillé. Pour ma part, cest en piteux état que jatteins lIGA de Sutton km 211, les forces mont abandonnées depuis quelques kilomètres et larrêt est le bienvenu car il faut que je me refasse une santé.

Pause à lombre sur les tables de pique-nique jouxtant le magasin salvateur. Nous y pénétrons comme dans une église, il fait frais et notre salut est dans les rayons remplis de bonnes choses à boire et à manger ! Seul hic pour moi, je meurs de soif mais je narrive plus à avaler quoi que ce soit, je nai même plus faim et je suis sans force, que faire ? Je prends une bouteille de Perrier et de Gatorade fraîche, un bol de riz avec légumes, une pâtisserie aux fruits en espérant avaler tout ça, de peine et de misère. Je pluggue mon GPS à lintérieur du magasin pour lui faire reprendre de l’énergie, il a lair épuisé lui aussi ! Dehors je retrouve la chaleur assommante et minstalle à la table pour déguster avec mes potes. Jai des visions apocalyptiques, Yves et Marc se prenant en photos devant des dizaines de bouteilles de Gatorade, René se trempant les pieds dans 2 sacs plastiques remplis de glace. La bande de Martin, Simon et Patrick en profitent pour décamper ensemble, sûrement soulagés de ne plus avoir à nous traîner derrière eux ! Car il faut bien admettre quils sont bien plus costauds que nous, alors merci messieurs de nous avoir amener jusque là à bonne allure. Peut être que jaurais dû rouler un ton en dessous, jaurais peut-être évité une surchauffe de mon petit corps en cette période estivale intense. Et dire que la semaine passée, il faisait 5 degrés et quil neigeait presque, y a plus de saison ma bonne dame !



Au bout dune heure, nous levons le camp direction le prochain contrôle distant d’à peine 40 bornes. Jespère que cette pause ma été salutaire et je vais faire un test pour .évaluer mon état de forme. Au courant de mon problème, Marc me donne une pastille de sels que je verse dans mon bidon deau, ça va te faire du bien me dit-il. Si je nai plus de jambes comme à mon arrivée à Sutton, je vais sérieusement penser à un plan de sauvetage. Nous repartons par la 215 nord, le vent nous pousse, cest donc assez facile mais je sens que ça ne tourne pas rond. Nous grimpons la côte en pente douce en direction de Bromont, je monte mais je traîne à larrière, je nai pas envie de servir de boulet à mes compagnons, même si Yves me dit gentiment quon reste ensemble, même si je suis nase. Je comprends que je me suis pris une bonne déshydratation, je narrive plus à boire et jai envie de vomir.

Cest péniblement encore que jatteins le 3éme contrôle au dépanneur de Waterloo, km 249. Je descends de vélo et mes jambes faiblissent, je titube et je dois prendre une décision, continue-je ou continue-je point ? Je prends un bon Magnum aux amandes, mon dessert favori pour me mettre en appétit, un Perrier et un coke, on verra ce qui passe ou ne passe pas ! Malheureusement, mon estomac refuse tout corps étranger. Malgré les encouragements de mes compagnons, je décide darrêter là pour ne pas mettre en péril notre groupe et surtout ma santé ! Il faut savoir connaître ses limites et savoir dire stop quand il le faut. Je pense que ça pourrait peut être revenir si je faisais une longue pause et attendre que la chaleur du jour décline car il est 17h30 et ça devrait bien finir de chauffer, merde alors ! Mais jai déjà appelé mon ex conjointe, la mère de mon fiston qui possède une auto car ma blonde nen a pas. Justement cette semaine, on avait mis au point un plan Orsec (organisation des secours) au cas ou il marriverait un pépin, et bien cest le temps de le tester.







Mes amis Yves, Marc et René sont prêts à repartir et je ne les retarde pas plus longtemps. Je les prends en photo et leur souhaite bon courage pour la fin du brevet. Bande de veinards, il ne vous reste plus que 150 bornes à faire, dans la noirceur qui approche et certainement avec des trombes deau car lorage gronde à lhorizon, surtout en direction de Montréal. Je les regarde s’éloigner, tristounet, désolé les gars, mais on se reverra une prochaine fois, le temps danalyser ce qui mest arrivé et den tirer les leçons pour ne plus que ça se reproduise. Après réflexion, je pense que cest à cause bien évidemment de la chaleur, mais surtout du fait que je ne me suis pas arrêté quand mon corps le demandait. Cest ça de rouler en groupe, parfois au dessus de ses moyens, on laisse aller son orgueil plutôt que d’écouter les messages envoyés à notre corps. À méditer pour les prochains brevets et notamment celui de 600 que jai bien lintention de faire et surtout de terminer, à moins quune canicule soit annoncée, dans ce cas, jy réfléchirai à 2 fois ! Ne pas oublier que par forte chaleur, le maître mot est boire, boire et encore boire mais pas nimporte quoi !

Une heure après mon appel téléphonique, mon taxi de Montréal vient me cueillir à lendroit convenu. Je remballe le matériel et mengouffre dans lauto, retournant à vive allure par la 10 vers la métropole. Je raconte à Véro mes aventures et plutôt ma mésaventure, tu es fou de faire ça me dit-elle pour me consoler !

Arrivés à St Lambert, lorage continue de gronder tout en se rapprochant, ça va bientôt éclater. Je pense aux cyclos encore sur la route qui vont affronter ces dures conditions, armés de leur courage et de leur volonté, bravo les gars, vous êtes tous très bons, quelque soit votre allure, vous avez toute mon admiration. Et jen aurai aussi pour moi quand je complèterai ce fameux brevet de 600 km dans 2 semaines !

À la prochaine donc pour une nouvelle et épique épopée et certainement pas abandonnée !

Message à Yves : Comme tu mas dit que tu avais la plume facile, peut être que tu pourrais terminer ce récit pour les 150 dernières bornes que vous avez faites sans moi. À plus, lami qui sait comme moi que la vie est maintenant un cadeau !

Voici donc le récit d'Yves Ferland, racontant la fin de ce 400 km épique, publié sur le site du CVRM:

Suite du récit de mon nouvel ami de vélo Pascal Philippe

Waterloo... nous quittons Pascal à l’instant pendant qu’il nous tire le portrait et nous souhaite bonne route; à +300 degrés Kelvin.

Pascal vient de prendre toute une décision, il abandonne, si proche du but... mais si sage de la part d’un cycliste d’expérience comme lui. Pas de connerie avec la déshydratation et la surchauffe de la caboche.

Surtout que la boutique du haut lui et moi, on connaît ! C’est je ne sais plus où durant le parcours que je découvre en Pascal un survivant d’un AVC. Eh ben, dit donc mon vieux lui dis-je... savais-tu que tu roules avec un survivant d’une tumeur au cerveau toi là!

Faut bien se taper des épreuves d’endurance style brevets pour trouver des gais lurons comme Pascal et moi qui ont décidés de savourer chaque seconde de la vie depuis leur retour parmi les vivants.

Alors Pascal, cette fin de récit que tu as si bien débuté est pour toi mon pote !

Contrôle #3 km 249, 17h 25 - Waterloo

Marc, René et moi repartons pour le festival des montées. Car ce n’est pas terminé mesdames et messieurs, nous annonce René. On va se taper de la face de singe solide pendant encore 60 kms avant de commencer la descente en direction de Granby: dans le bout du parc de la Yamaska.

Après 3-4 montées exténuantes, René nous dit:« ça achève les gars, y en reste pu gros des côtes ». Après une heure et demie, Marc me dit:« wow, on est rendu dans un des villages les plus hauts du Québec! ». Ah ben tabern... que je dis à René en pissant de rire, t’as pas dit vla une heure que ça finissait bientôt l’ascension du mont Everest?

Trop drôle: René a tellement de brevets dans les pattes qu’il déconne et nous dit qu’il n’est plus certain de rien après 15 heures assis sur une selle de bike. René, c’est mon nouveau chum de Rimouski qui se met les pieds dans des sacs de plastique remplit de glace pour survivre au parcours du 400 quand il fait trop chaud. Ben maudit ! Ça marche le truc de René... pas un hasard qu’il ait réussi le Paris-Brest-Paris 2011; un connaisseur du dépassement physique et de l’humilité notre Rimouskoi.

Le soleil se couche, je demande un arrêt pour changer de lunettes: du fumé noir polarisant, je passe à verres standards à foyer progressifs de pépère de presque 50 ans bientôt. On installe nos phares de routes, nos lumières rouges clignotantes. René en installe tellement sur son bike qu’il a l’air d’un arbre de Noêl commandité par Hydro-Québec...

On enfile nos dossards jaunes hyper voyants; je suis certain qu’à nous trois, Marc, René et moi on va déclencher des crises d’épilepsie violentes pour les damnés à voiture qui nous croiseront !

Nous roulons à vive allure, troquant les 7,8,9,12 km/h des montées pour du 42-55 km/h le vent dans le dos - woufff, ça fly vers Granby et on reprend du pep. Je pense souvent à Pascal et je me demande s’il va bien sur le chemin du retour dans un 4 roues. Pas naturel pour un cycliste de bouffer autant de bornes pour finir dans une caisse de tôle vers la maison.

Granby: nous arrêtons dans un McDo pour remplir nos précieuses bouteilles d’eau. Boire, boire, boire comme disait Pascal... pisse, pisse, pisse comme disait Marc ! Sérieux, on force tellement qu’on sublime ce que l’on boit avant que ça se rende plus loin dans le système !

Tout d’un coup, on entend un wow ! venant d’une table d’à côté sur la chic terrasse du Wacdo... « as-tu vu l’éclair man...? » que j’entends. Pis d’un seul coup les 3 gais lurons de la pédale qui se lèvent la tête en synchro pour regarder le ciel, avec la bouche en coeur bien ouverte, la mâchoire décrochée... À une autre table du MacDo, un autre s’exclame:« Ça va être lète en sale à souère, regarde le ciel yé noir comme l’enfer - y va en tomber une crisse ! ». Je regarde Marc et René, pis je me dis que l’enfer je viens de le vivre dans le boutte de Dunham, Bromont, Sutton, Lac-Brome, Eastman, Waterloo alouette ! Ça peut-tu être pire que nos premiers 320 kms..., hein, ?$$#%&?

Ben oui, et boum ! Le tonnerre qui pète et les éclairs qui nous décollent la rétine. Je vois en négatif pendant que mes yeux se réajustent. Marc nous dit, on part les boys pis ça presse, on va en manger toute une pis ça va être mouillé rare.

Enfilage d’imper pour Marc, enfilage de rien pour moi et René..., car dans notre grandeur lors du départ, on a trouvé qu’il ferait ben chaud pis que la pluie, ça tue pas. Oh hhhho oh oh, la pluie qui tombe en trombes avec des orages le soir sans soleil... c’est frette en svp. Je demande un mini arrêt et j’enfile ma deuxième peau, un chandail de ski fétiche que j’ai toujours avec moi: ça garde au chaud même mouillé et tu ne transpires pas.

Paf ! les éclairs, et les grenouilles qui sortent de partout sur la piste cyclable. On ne voit mauditement rien à l’extérieur de la couverture de nos phares. Les arbres de la piste cyclable cachent la luminosité avoisinante de la ville et des maisons. Boum, patlowe! On repart comme des voleurs sur nos montures. J’ai enfilé mon jersey à la vitesse de la lumière.

Marc ouvre la route, je suis et René ferme le convoi. Fait tellement noir, le bruit de la pluie est assourdissant, les éclairs aveuglants et les branches d’arbres sont tellement basses qu’elles forment une voûte naturelle: comme si nous traversions le tunnel sous la Manche.

Personne ne parle, on roule, on mouline, on est CONCENTRÉS... Tout d’un coup je me rappelle une scène du Parc Jurassique: la lumière est pareille, les bruits de vent et d’orage aussi. Et surtout, le son des ouaouarons ou grenouilles du genre qui envoient leurs borborygmes bizarres en canon et en stéréo. Vraiment, on dirait la scène où les T-REx vont attaquer... même son, même suspens...

On roule, Marc manque d’écraser un lièvre qui se pousse en raquette et qui traverse la voie en détalant comme s’il était poursuivi par un des T-Rex. Je vois le lièvre qui passe proche de finir en sushi dans les roues profilées de Marc. Marc en rit un bon coup et me dit: « check les grenouilles partout qui sautent sur la piste » ! Au même moment, j’en ai une qui me saute sur le cuissard, va savoir pourquoi... Je manque de pogner une débarque mémorable, mais on reste zen, pas de faux mouvements en vélo, sinon... y en a une couple qui vont se rappeler de toi dans le peloton, et à l’hôpital !

On roule jusqu’à Saint-Césaire sous la flotte et le vent dans le dos, ou sur le côté. Saint-Césaire.. avant-dernier contrôle à 349 kms. Je n’ai jamais autant aimé la vue d’un Tim Horton de ma vie ! Il est 23h 10. Oubliez ce que je ai dit tout à l’heure pour mon jersey de ski qui respire et garde au sec... bulsh... Je suis détrempé à mort, René aussi. Marc a été protégé par son imper, mais il sort d’un sauna en enlevant cette cochonnerie de Saran Wrap pour cyclistes. Leçon, on est tous mouillés égal pour des raisons différentes - y a une justice sur terre.

Simon, Patrick et Martin sont déjà au Tim en train de se faire sécher et d’attendre que la pluie cesse un peu. C’est des machines ces trois-là - qu’il pleuve, qu’il grêle, qu’il tombe des canards, ils roulent. Jean est loin devant, ou bien il a déjà fini, qui sait. Ce gars est hors norme, jamais vu ça autant de puissance et d’endurance dans un seul être humain.

Marc, René et moi on mange LE repas chaud de la journée ! Jouissance totale avec mon bol de soupe aux nouilles défaites et mes deux mains étampées sur ma tasse à café pour me décongeler les membres. J’en profite pour faire sécher mon jersey avec le séchoir à mains dans les toilettes... bilan: ça marche pas.

30 minutes plus tard, la pluie a diminué de beaucoup, on repart pour le dernier stretch pour le point de contrôle au kilomètre 392. Nous ne parlons plus, on n’entend que le bruit de nos roues, les routes, la ville, la nuit nous appartient totalement. C’est à ce moment que je me rends compte que je suis prêt pour le brevet de 600 kms. Je sais que ce sera intense et plein d’épreuves, mais je découvre mes capacités ce soir et la sagesse de rouler à ma cadence. Tout comme Pascal qui a su prendre un arrêt avant de se rendre malade.

Le vent est tombé, la chaleur du jour à venir se fait déjà sentir. De 5 heures du mat samedi au départ jusqu’à maintenant quelques 20 heures plus tard, le cycle de la journée se manifeste devant nous: du lever, au coucher, au lever du soleil qui ne tardera pas à se produire d’ici quelques heures.

Nous arrivons au dernier point de contrôle et terminons notre parcours en 21 heures 10 minutes. Pascal n’y est pas, mais on a pensé à lui tout du long. On se serre la main et on apprend que René s’en va faire un classique dans une semaine, ou deux... Un classique... c’est 1,200 kms ça... René me dit: « quand t’en as fait 600, un autre 600 ça te dérange plus... » Une autre sage parole de la Rimouskoiture.

Nous arrivons à ma voiture au point de départ à St-Lambert. Marc et moi on se fait une grosse accolade. Wow, on se connaît depuis longtemps, très longtemps. On ne parle plus beaucoup. Je le laisse chez lui, j’arrive chez moi et... je me réveille à 11 am en ne me rappelant plus comment je me suis couché en arrivant.

Yves Ferland

Message à Jean : Tu pourras mettre le mot Abandon en face de mon nom sur ce brevet de 400 km. Ce nest jamais facile dassumer ça mais cest la dure loi du sport !

Suite personnelle du journal, après cet article remis au CVRM et mis sur Facebook. Je rentre a mon condo, je remercie Véro puis j'appelle Marielle pour lui dire que je me douche et j'arrive. L'orage se met a éclater avec violence, je mets mon vélo et celui de chou sur l'auto et je rejoins Verdun vers 21h30. Je raconte mon aventure, je mange un peu de Chili, j'ai encore faim, c'est bon signe ! Un peu de téloche avec du tennis a Roland Garros puis nous allons pieuter sans folie. 

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